C'Heu L'Zib : La fabuleuse Histoire du Zib
Si le C’Heu l’Zib est si réputé, c’est que l’on ne sort pas indemne de cette auberge. Ici, les clients ne viennent pas manger au restaurant, ils viennent vivre une expérience unique, partager un peu de l’histoire du village de Menetou-Salon et de la famille du Zib, mais également s’attabler autour des recettes transmises de génération en génération, chargées de générosité et d’émotion. Aujourd’hui, Dorothée, issue de la troisième génération des propriétaires de l’auberge, nous raconte son histoire.
Peux-tu nous parler de ton enfance avant ta vie professionnelle ?
Dorothée : « Je suis née en 62 et j’ai grandi dans le restaurant avec ma mère, mon oncle et mes grands- parents. Ce sont eux qui m’ont élevée, ici à Menetou-Salon. Les clients me connaissaient toute petite, je me promenais dans le restaurant comme aujourd’hui ma petite-fille le fait. J’ai grandi dans un univers familial très fort, avec beaucoup d’amour.
Je suis rentrée en pension en primaire à Saint-Dominique et Sainte-Marie, et j’y suis restée jusqu’à la troisième, pour ensuite faire une école hôtelière. J’ai rencontré beaucoup, beaucoup de gens qui font qu’aujourd’hui, quand tu dis mon prénom, on se souvient de moi. En même temps, j’étais la seule Dorothée de l’école, c’était facile de s’en souvenir. Ça a été une période extrêmement vivifiante parce qu’intellectuellement, j’ai pu me nourrir, et puis c’était une émancipation, ce n’est plus la vie de village mais la confrontation au monde extérieur, la grande vie à la ville.
Je rentrais le week-end, mon grand-père avait décidé de fermer le vendredi pour venir me chercher à l’école chaque semaine, et il me disait « Tiens, ma toute petite, il faut qu’on fasse des charlottes pour le week-end. ». Ce qui fait qu’aujourd’hui, quand je fais les charlottes, c’est vraiment une madeleine de Proust. C’est un moment à moi, et ça, ça me fait beaucoup de bien. C’est un moment avec mon grand-père, un retour en enfance que je revis, à chaque fois.
Après mes études, j’avais sympathisé avec une cliente du restaurant, et elle m’a invitée à venir passer une journée chez elle en Sologne. Sur la route, je suis tombée en panne avec ma première voiture, une 2 CV que j’avais appelé Chloé. Quand j’ai prévenu la dame, elle m’a répondu : « Ce n’est pas grave, je vais vous trouver quelqu’un qui va vous ramener, mon fils organise une chasse et il a invité des gens ». Celui qui est venu me dépanner, c’était mon futur mari. Je suis ensuite tombée enceinte, puis on s’est marié, on a acheté une maison… J’avais vingt ans à l’époque. J’ai ensuite commencé à travailler avec ma belle-famille qui avait une poissonnerie à Bourges, et ça a duré comme ça plusieurs années.
Mais ton histoire a pris un tout autre chemin avant ton retour au Zib.
J’ai un jour demandé le divorce, et ça a été très compliqué, car à l’époque dans l’idée collective, c’était toujours la faute de la femme. À ce moment-là, j’ai tout perdu. Ça a été une période très compliquée dans ma vie, très sombre, qui a laissé beaucoup de séquelles.
J’ai essayé de reprendre ma vie en main, j’ai travaillé chez Connexion à Nevers et ensuite à celui de Bourges, je faisais la route tous les jours, mais je voulais retourner dans le domaine de la poissonnerie. Donc j’ai essayé de faire des tentatives de commerciale dans les produits de la mer. Mais le problème, c’est que j’allais être payée à la commission, et avec mes deux enfants, il en était hors de question. Et puis à chaque fois que j’avais une idée, quand j’allais voir une banque, on me disait : « Mais Madame, vous êtes une femme divorcée et vous avez deux enfants ».
Le hasard a fait qu’un jour, en allant voir mes beaux-parents, ils m’ont proposé de reprendre la poissonnerie dans laquelle j’avais travaillé. Ça n’a fait qu’un tour. Je me suis associée avec mon cousin, c’était la fin de l’été 1994, le premier novembre c’était signé.
À partir de ce moment-là, ma vie a pris un autre tournant. C’était une entreprise qui était malade et qu’il fallait reconstruire. On s’est remontés les manches, on a travaillé à fond, et on n’a rien lâché. Pendant un an et demi, ça a été quand même assez galère. En plus, comme je portais encore le nom de mon ex-mari, les fournisseurs étaient un petit peu pointilleux, ils m’ont fait beaucoup de misères, mais au final, on a sorti le deuxième bilan qui était bon et le troisième excellent. On a vraiment réussi à remonter l’affaire. J’étais aussi la présidente de l’association des commerçants de la rue Jean Baffier, puis au conseil d’administration des commerçants non-sédentaires, et ensuite, on a fait partie de l’association les Mille et une boutiques de Bourges, et là, on a fait plein de choses tous ensemble. C’était un très bon moment de ma vie.
Le destin en a voulu autrement, puisqu’une autre aventure t’attendait au croisement des chemins familiaux.
En 2003, mon fils a eu des problèmes de santé, puis ça a été mon tour. On était trois associés à la poissonnerie, et heureusement, j’ai pu revendre mes parts. C’est comme ça que je suis revenue à Menetou-Salon, et que j’ai renoué avec le restaurant. J’ai commencé par assister ma mère, puis j’ai fait ma place et repris confiance en moi petit à petit. C’était l’époque où toutes les nouvelles normes pour l’hygiène et la réglementation de la restauration ont changé. Un jour, j’ai dit à ma mère : « J’ai une proposition à te faire : ou je quitte la région pour refaire ma vie au bord de la mer, ou je reste, mais il y aura un grand bouleversement dans le restaurant ». Elle a accepté et tout s’est très bien passé malgré tous les changements que ça impliquait, pour elle et pour le restaurant. Entre temps, j’ai proposé à mon fils de le former en cuisine aux côtés de ma mère, pour un jour prendre le relais, avec une jeune femme, Sokcha, comme commis pour l’épauler. C’est aussi à ce moment que ma fille, Anne, a commencé à mettre un pied au restaurant. Elle l’a fait en plusieurs étapes, elle est venue puis repartie plusieurs fois, je l’ai laissé faire ses expériences. C’est elle qui est revenue un jour et m’a dit : « Maman, je reste, je ne peux pas vivre sans ma famille ». Aujourd’hui, Julien n’est plus en cuisine, mais c’est Sokcha qui est aux fourneaux, et Anne, qui est devenue ma collaboratrice.
L’auberge est elle aussi chargée d’un passé très atypique.
On est en 1937 dans le village de Menetou-Salon, les murs sont déjà là, la salle de restaurant était un bistrot qui appartenait à Madame Tibure. À cette époque, mon arrière-grand-père, le père du Zib, était le garagiste du village. Quand il apprend que le bistrot est à vendre, un ami à lui, Pierre Clément, le père de Bernard Clément, lui conseille d’acheter tout de suite. Quand il achète l’affaire, il veut la léguer à ses deux filles qui finalement préfèrent continuer à travailler au garage. C’est donc à son fils, le Zib, et son épouse Germaine, qu’il confie les murs. C’est quand même incroyable, ces deux-là se sont rencontrés au Cirque Medrano à Paris, alors qu’ils venaient tous les deux de Menetou-Salon. Mon grand-père adorait cuisiner car il a passé une partie de son enfance au château, ses parents travaillaient pour le prince, et lui observait en cuisine. C’est d’ailleurs de là que vient la sauce du brochet. Ma grand-mère elle, cuisinait des omelettes et faisait beaucoup de préparations, elle adorait tenir le bar mais surtout elle faisait beaucoup de desserts, des gâteaux de riz, des gâteaux de semoule, des îles flottantes, de la crème anglaise. Ils transforment le bistrot en auberge, passent leur vie ici, et ont quatre enfants, dont ma mère, Marie-Claude, qui est née dans l’arrière salle à manger du restaurant, car à l’époque c’était le lieu d’habitation. C’est ensuite ma mère qui a transformé l’auberge en restaurant. Elle a travaillé comme une folle de 1990 à 2010 pour faire du restaurant ce qu’il est aujourd’hui.
Le concept a gardé une grande part de l’héritage familial.
Le fonctionnement du restaurant actuel est basé sur celui de mes grands-parents. Même si nous avons évolué pour les normes d’hygiène et de réglementation, l’adaptation s’est faite en gardant l’esprit de convivialité et de générosité. Les gens s’installent côte à côte sur les mêmes grandes tables de l’époque, le décor est celui d’origine, je connais même l’histoire de chaque objet. Ici, on aime les nappes en tissu et la vaisselle de mes grands-parents. Même si on est obligé de faire des portions, quand les gens commandent, les plats sont posés sur la table pour qu’ils puissent partager entre eux, donc pas de service à l’assiette.
Le menu lui aussi est d’époque. Pour les entrées, ce que j’ai apporté c’est le saumon fumé grâce à mon ancien métier et la terrine de lentilles vertes du Berry, mais sinon les terrines, les harengs, le marbré, les asperges, tout vient de la carte d’origine. Ensuite, il y a le brochet à la crème. Mon grand-père adorait pêcher, c’est comme ça que le poisson est venu à la carte. Au début, il cuisinait ce qu’il pêchait ou ce qu’on lui vendait, mais avec le temps, c’est le brochet qui est resté dans la mémoire des gens, alors on a continué dans ce sens. Ensuite, il y a le coq au vin, la pintade, les poulets, différentes sauces, le filet mignon, le jarret de veau, le sauté de veau, on ajuste les viandes en fonction de la saison. Le plateau de fromages est lui entièrement composé de produits de la région du Centre Val de Loire, en dehors du brie que nous proposons pour ceux qui n’aiment pas le chèvre. Et puis le dessert, la traditionnelle charlotte au chocolat avec sa crème anglaise, et tous les accompagnements de fruits au sirop et fruits secs, en fonction des saisons. Si tu veux le menu authentique du Zib aujourd’hui, c’est une entrée, le brochet, la volaille, la viande rôtie, les légumes, salade, fromage, dessert, mais il y a aussi les plats à la carte ou des formules pour s’ajuster en fonction de la demande des clients. Les vins ne viennent que de Menetou-Salon, des cuvées classiques aux cuvées spéciales, tout est local.
Tu as d’ailleurs laissé ta marque à cet héritage d’une très belle façon.
Oui c’est sûr, c’était les 80 ans du restaurant. ça a été un très grand événement pour C’heu L’Zib. Avec le soutien des vignerons de Menetou-Salon, de la commune, de la communauté de communes, du département, de la région Centre et de tous mes fournisseurs, on a organisé une grande fête sur la place du village. Il y avait des stands de dégustation de vin, des producteurs locaux, et un cirque en plein milieu en hommage à mes grands-parents et à leur rencontre. C’était aussi une façon de marquer mon passage dans le restaurant, dans l’histoire familiale.
Il y a eu aussi l’ouverture de la boutique, même si elle n’a pas pour objectif de vendre en masse, elle met en avant les producteurs locaux, les produits de la région, et les vignerons de Menetou-Salon.
Comment s’annonce le futur de l’entreprise familiale ?
La suite du C’heu l’Zib, c’est Anne qui va l’écrire. Elle est d’accord pour reprendre les rênes, et je l’accompagne encore le temps que ses enfants grandissent. La quatrième génération prend sa place. Elle va elle aussi apporter des choses nouvelles, c’est sûr. Garder l’authenticité tout en apposant sa pierre à l’édifice. Je sais qu’elle a déjà des idées !
La renommée du C’heu l’Zib
France Hubert Moindrot, qui était quelqu’un de très connu sur la place de Bourges avait un lien de parenté avec l’une des sœurs de mon grand-père. Un jour, en discutant avec lui, je lui ai demandé s’il savait d’où venait la notoriété du restaurant. Il m’a répondu ça : « En fait, un des princes invitait souvent la bourgeoisie locale à venir chasser au château, et quand ils avaient terminé, ils étaient affamés. Donc ils s’arrêtaient tous dans l’auberge de ton grand-père, et on amenait les plats sur la table, le vin, et ils s’asseyaient tous autour de la table. Comme aujourd’hui. C’est comme ça que la réputation du lieu est arrivée jusqu’à Bourges». Les gens connaissaient tous mon grand-père et disaient « on va Cheu l’Zib ». Le nom du restaurant vient de là.
Fermeture obligatoire
Pendant la guerre et la période d’après-guerre, je sais que ça n’a pas fermé. Je sais que ma grand-mère était terrorisée quand les Allemands venaient boire un verre au bistrot. La période de fermeture la plus longue finalement, ça a été le Covid.
T'as ti vu ce qu'en pense l'équipe ?
Je crois que vous l’avez compris, l’auberge C’heu l’Zib s’inscrit dans la longue liste des lieux qui, en dehors d’être incontournable dans notre région, fait également partie de nos coups de cœur affectifs. Chargé d’histoire et de générosité, ce lieu échappe au temps et vous plonge dans l’univers de Menetou-Salon ainsi que celui de la famille du Zib, à travers les générations et les épreuves.
Le Zib et Germaine, Marie-Claude et Réjane, Dorothée et maintenant Anne. Ce ne sont donc pas moins de quatre générations qu’il aura fallu pour écrire l’histoire de ce restaurant ô combien incroyable, et qui continuera d’exister tant qu’il y aura du monde pour la partager.
Interview réalisée dans l’auberge du C’heu l’Zib le 09/11/2023
avec la participation de Dorothée Fontaine.
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