Se relier par les livres après 40 ans d'histoire
En haut de la rue Moyenne, tout proche de la place Etienne Dolet où la Cathédrale s’impose en maîtresse des lieux, se trouve une boutique, qui elle aussi a son brin d’histoire à défendre dans notre ville. Après quarante ans de vie et le prestige d’être la plus vieille librairie de Bourges, la Poterne s’offre une nouvelle vie grâce à Annabelle, qui a su voir le potentiel d’une librairie généraliste au cœur de la ville. Une page de plus reste à écrire, dans ce nouveau chapitre de la longue vie de la Poterne.
Présentation d’Annabelle
Je me présente, Annabelle, je suis Francilienne, j’ai grandi dans les Yvelines, et j’ai toujours vécu et travaillé en région parisienne. Mon père était professeur dans un lycée technique et ma mère était comptable, donc aucun lien avec les livres par leur vocation, mais j’ai toujours aimé lire. Après mes études d’histoire et de droit, je suis rentrée dans l’administration. J’aimais l’idée de travailler pour le service public. J’ai travaillé pour l’Etat et les collectivités pendant 20 ans, j’ai eu un parcours très diversifié et enrichissant.
Au tour de Leslie
Je m’appelle Leslie et je suis libraire depuis 2021. À la base, je me destinais à une carrière dans les langues. Je suis diplômée en traduction d’édition, spécialité anglais-japonais, mais après mes études, j’aspirais à évoluer dans une structure qui me permettrait de transformer ma passion pour les livres en profession. En 2020, j’ai passé un Master à distance en littérature pour la jeunesse, et suite à un stage à la Poterne, j’en suis venue à travailler ici.
Comment le projet de devenir libraire vient chatouiller votre vie ?
À un moment dans ma vie, j’ai eu une envie de changement, plus radical qu’un simple changement de poste dans mon travail, et j’ai amorcé un virage professionnel. Au début, me tourner vers la librairie, c’était plus un rêve que quelque chose de concret. Et puis, comme tout le monde, les années 2020 ont été un accélérateur de mouvement, j’ai eu besoin d’avancer. J’ai commencé à travailler sur mon projet, je me suis inscrite à une formation, puis j’ai fait des stages dans plusieurs librairies. Je me suis beaucoup renseignée sur le métier de libraire avant de franchir le pas. Dans tout ce que j’envisageais, c’était dur de faire la transition entre la fonction publique et le privé, il fallait trouver ce que je voulais valoriser. C’est quand j’ai compris la difficulté qu’allait être la vie d’entrepreneur que je me suis demandé dans quoi j’allais trouver du plaisir, et c’est vraiment la librairie qui en est ressortie. Un des éléments déclencheurs, c’est que j’ai appelé des libraires qui ont fait des reconversions professionnelles comme moi, j’en ai interrogé trois ou quatre, et c’est en discutant avec eux que j’ai compris que c’était possible.
A quel moment la Poterne fait son apparition dans votre projet ?
Assez vite dans mon projet, je me suis tournée vers une reprise plutôt qu’une création. Je préférais prendre le relais de quelqu’un qui allait me transmettre son expérience et sa librairie, avec son public et sa notoriété, plutôt que de tout créer à partir de rien pour un premier projet professionnel. J’ai commencé à regarder les librairies qui étaient à vendre, et c’est comme ça que j’ai découvert la Poterne. Je suis venue la visiter, sachant que, dans notre réflexion personnelle avec mon compagnon, lui ne voulait pas partir dans le nord, et moi pas dans le sud, donc Bourges c’était parfait !. Ensuite, il y a eu le business plan, l’étude de marché, aller chercher les financements, enfin toute la partie administrative.
En termes de surface, c’était ni trop grand ni trop petit, l’implantation en centre-ville était idéale, une ville de la taille de Bourges nous correspondait très bien, ça collait plutôt bien avec tous nos critères, et surtout, c’était une librairie généraliste. Je me suis aussi bien entendue avec les anciens propriétaires, ils m’ont raconté l’histoire de la librairie, le fonctionnement de la boutique, ils m’ont aussi présenté à leur clientèle, enfin tout s’est bien passé. Ça s’est fait très vite, je les ai rencontrés en avril 2022, et en septembre j’étais propriétaire. Une fois que les choses ont été déclenchées, j’ai pris sur mes congés pour travailler dans la librairie, et quand je suis venue en septembre, l’ancien propriétaire m’a accompagnée pendant deux mois.
![poterne1](https://tativu.fr/wp-content/uploads/2025/01/poterne1.jpg)
Racontez-nous un peu vos débuts
Annabelle : J’ai eu un très bon accueil de la clientèle, les gens étaient satisfaits que le lieu reste une librairie, et j’ai vite été à l’aise avec le rythme de la librairie. Après, il a fallu se familiariser avec les maisons d’édition, les auteurs, les représentants, etc. J’ai eu plus de mal avec la partie gestion d’entreprise, c’était nouveau pour moi.
Leslie : Ça n’a pas été compliqué pour moi car je me suis tout de suite entendue avec Annabelle, c’est quelqu’un de discret mais très généreux de son savoir, et très agréable au quotidien. C’était mon premier vrai emploi en tant que salariée, donc on a dû toutes les deux prendre nos marques, on a tâtonné ensemble quelques temps pour que chacune trouve sa place. Ce que j’ai apprécié aussi, c’est que comme moi, elle a fait une reconversion, et tout de suite, sa joie de travailler ici s’est ressentie. J’affectionne en plus particulièrement ce lieu, car j’y allais déjà petite, j’ai vu ses différents propriétaires, et cette taille humaine me permet d’aimer encore plus sa clientèle et d’évoluer avec elle.
Comment choisit-on les livres qui vont être dans la librairie ?
Annabelle : Il y a plein de critères pour faire une sélection, c’est vraiment ça le métier de libraire. Il faut faire le tri des nouvelles parutions et trouver une alchimie entre nos goûts personnels, les demandes, les sujets d’actualité, la notoriété des auteurs, et l’effet médiatique d’un livre. Ce qui est précieux aussi ce sont tous les échanges avec les clients qui m’aident à mieux cerner leurs goûts et leurs attentes !
Pouvez-vous présenter la librairie à quelqu’un qui ne la connait pas ?
La Poterne est une librairie généraliste, on a des romans de littérature française, francophone, étrangère, de la poésie, du théâtre, des polars, un rayon jeunesse, des beaux-arts, des sciences humaines, vraiment un large panel de genres littéraires. Ici, les gens peuvent se balader dans les rayons, découvrir les nouveautés, commander un livre qui n’est pas en boutique, on essaye de proposer un maximum de choses dans nos 60 m2. Je tiens vraiment au caractère généraliste, j’aime faire côtoyer des thrillers très sombres et des comédies policières, des oeuvres très littéraires et des romans plus légers, des essais de penseurs de gauche comme de droite ! Je suis très attachée à cette diversité. On travaille aussi avec la Médiathèque de Bourges et ses différentes bibliothèques, certaines villes autour, mais aussi des collèges, des lycées, des CDI, des associations et des comités d’entreprises.
Quelle est votre relation avec les autres libraires ?
Quand je suis arrivée en octobre 2022, il y a eu un petit événement à la Maison de la Culture suite à la projection d’un film sur le droit des femmes. Ils nous ont demandé, pour la fin de la projection, de venir exposer des livres sur ce thème, et j’ai sauté sur l’occasion car ça m’a permis de rencontrer mes confrères, pas tous mais la plupart à l’époque. Après, je suis aussi allée les voir chez eux quand je pouvais, donc on se connaît, on échange entre nous, et on se renvoie des clients quand ils recherchent des livres que les confrères sont susceptibles d’avoir.
40 ans cette année pour la Poterne, et toujours autant d’histoire !
La Poterne, je me suis rendue compte au fur et à mesure que c’est une vraie institution. La librairie fête cette année ses 40 ans, elle a été fondée en 1984, et ça fait d’elle, je crois, la plus ancienne librairie de la ville. Celui qui l’a créée s’appelle Jean Joly, c’est un homme qui a eu une vie incroyable, il a été résistant, il a fait ensuite plein de métiers, il a travaillé dans des garages, élevé des chèvres… À la fin de sa carrière, il a créé cette librairie par amour des livres, on nous en parle encore aujourd’hui comme d’une caverne d’Ali Baba, avec beaucoup de livres qui s’entassaient comme dans les vieilles librairies d’antan. Ensuite, c’est son fils, Yves Joly, qui a repris l’activité, il est d’ailleurs toujours propriétaire des murs. Après six ans d’activité, il est parti à la retraite et a transmis la boutique à Emmanuel Desmarestz, qui lui aussi est resté six ans avant de me transmettre la librairie. Chacun a laissé sa patte dans les lieux. Yves avait une prédilection pour les ouvrages de botanique, ensuite Emmanuel a apporté son expérience de libraire parisien avec des œuvres beaucoup plus littéraires, moi, je suis attentive aux rayons polar et histoire, et puis Leslie a travaillé sur un rayon littérature japonaise. La Poterne se transforme et évolue à chaque fois que quelqu’un se penche sur elle.
Quels sont les projets futurs de la librairie ?
Quand je suis arrivée, j’ai tout de suite voulu préserver l’identité de la Poterne, son ambiance unique. Cela dit, il faut reconnaître que la librairie a 40 ans, et cela se voit ! Nous avons conservé tous les meubles créés à l’origine par Jean Joly, mais nous avons également des projets pour rénover le lieu petit à petit. Nous avons beaucoup mis l’accent sur la vitrine pour attirer l’œil et dynamiser notre activité. Pour nos rayons, nous aimerions continuer à développer notre gamme avec des nouveautés, et découvrir de nouvelles maisons d’édition, etc. Pour célébrer les 40 ans de la librairie et Bourges en tant que Capitale Européenne de la Culture, nous travaillons sur un projet pour célébrer les livres et la lecture à Bourges avec une exposition photo qui mettrait en scène la lecture en plein cœur de Bourges.
On travaille toujours à améliorer la boutique. Par exemple on fait des petites notes sur les livres, on donne notre avis, un petit conseil en plus du résumé, mais plus personnel. Il faut donner envie aux gens en deux lignes, c’est un exercice qui est intéressant et compliqué à la fois. On essaye toujours de mettre en place des outils de communication personnalisés, comme notre newsletter, notre page Instagram ou notre site internet. Depuis cet été, je me suis lancée dans la vidéo avec notre chaîne YouTube, où l’on parle des livres qui nous plaisent et que l’on a envie de faire découvrir à un maximum de personnes.
Le petit mot de la fin
Je voudrais remercier mon compagnon sans qui je ne me serais jamais lancer dans cette aventure. Et surtout remercier tous les clients qui nous sont restés fidèles et qui permettent à la Poterne de perdurer !
Les livres les plus demandés à la librairie
Annabelle : Le livre le plus demandé est « Le Grand Cœur » de Jean-Christophe Rufin. L’histoire de Jacques Cœur intéresse beaucoup, que ce soit les locaux, curieux de découvrir son parcours, ou les touristes, qui veulent repartir avec un morceau de notre patrimoine. Il y a aussi les valeurs sûres de la région comme George Sand ou des auteurs plus contemporains, comme Jean-Pierre Ferrère, un auteur d’ici qui a écrit toute une saga autour de son personnage phare, Félide, et le livre « Les Fourmis de Dieu » de Pierre Duhamel, qui traite de la construction de la cathédrale.
Je vous abandonne sur une île déserte, vous n’avez le droit qu’à un seul livre
Annabelle : « les hommes de bonne volonté » de Jules Romains.
Leslie : « l’assassin royal » de Robin Hobb, parce que je pense que j’aurais besoin de m’évader psychologiquement.
Votre meilleur souvenir à la Poterne
Leslie : Un jour, une dame est venue à la librairie pour me faire lire une lettre d’amour qu’elle avait écrite pour son cher et tendre. Elle voulait que je lui donne mon avis en tant qu’experte en littérature. C’était vraiment adorable, et ces rencontres sont très touchantes.
Annabelle : Le meilleur moment pour un libraire, c’est quand un client revient et dit : « Ah, vous m’aviez conseillé ce livre et j’ai adoré ! », ou « C’était le bon livre à offrir à la bonne personne ». C’est un sentiment vraiment gratifiant et encourageant.
Votre coup de cœur récent
Annabelle : Comme j’aime la littérature américaine, mes deux coups de coeur récents sont « Le déluge » de Stephen Markley et « Bien-être » de Nathan Hill, deux auteurs très fins et intelligents dans leur analyse de nos sociétés.
Leslie : Je dirais « la Fortune sourit aux acharnés » de Kel Carpenter, qu’on pourrait qualifier de « romanfantasy », c’est ce mélange hybride de fantasy et de romance.. Il y a aussi « Célèbre » de Maud Ventura, qui m’a beaucoup marqué.
Les livres de votre enfance
Annabelle : J’ai commencé à lire avec Alice Détective de la Bibliothèque verte, un livre qu’on m’avait offert. Ensuite, j’ai dévoré les Agatha Christie, les grands classiques comme Dumas ou « les Misérables ». J’ai toujours été très éclectique dans mes goûts, et comme mes parents ne surveillaient pas trop mes lectures, j’ai lu un peu de tout. Ensuite, ce sont surtout des auteurs américains qui m’ont marqué à l’adolescence, comme Jack Kerouac, Scott Fitzgerald, Steinbeck. J’aimais leur style, leur façon d’évoquer la complexité des sentiments et des relations humaines
Leslie : J’ai grandi avec la Bibliothèque verte, et moi aussi, j’ai commencé avec Alice Détective ! C’était ma drogue pendant mes premières années de lecture, avec le Club des 5, la Bibliothèque rose, puis j’ai évolué vers les mangas, et quelques classiques comme la Comtesse de Ségur ou Boucle d’Or.
![poterne2](https://tativu.fr/wp-content/uploads/2025/01/poterne2.jpg)
T'as ti vu ce qu'en pense l'équipe ?
Nous sommes toujours fiers de voir de nouveaux projets éclore dans le centre-ville de Bourges, mais encore plus lorsque ceux-ci sont à l’origine d’un lieu déjà iconique, et font perdurer l’histoire de notre ville. La Poterne est une institution, qui une fois de plus est tombée entre de bonnes mains. Lorsque l’on va acheter un livre, c’est toujours un moment de plaisir. Annabelle et Leslie l’ont bien compris, et elles partagent cette même passion du livre tout comme elles cultivent le bonheur au milieu de toutes ces œuvres, avec ceux qui franchissent les portes de cette librairie en quête d’histoire, d’aventures et d’évasion.
Interview réalisée chez la Poterne
le 20/08/2024 avec la participation
d’Annabelle et Leslie
Tous droits réservés à l’association Tativu