Librairix : Des bulles et des idées à l’infinix
Il faut fouler les pavés du centre-ville jusqu’à la rue Coursarlon pour se rendre compte qu’un univers parallèle s’éveille au coeur de cette boutique aux étagères débordantes et aux couleurs éclatantes. Si l’odeur du papier et de l’encre ne vous a pas encore envouté, repartez en enfance avec des classiques indémodables ou découvrez de nouveaux horizons grâce à Denix qui saura vous guider dans ce monde de bulles encrées.
Quels sont les livres de tes parents qui t’ont influencé dans ta jeunesse ?
Mes parents lisaient, enfin ils travaillaient toute l’année et ils lisaient uniquement pendant les vacances d’été, donc moi je piquais leurs bouquins. Mon père lisait Konsalik, c’était un auteur allemand qui écrivait beaucoup autour de la seconde guerre et puis ma maman c’était Barbara Cartland. Mes découvertes de lecture étaient assez drôles, et puis les vacances contrairement au reste de l’année on faisait les courses ensemble, alors ça va paraître bizarre mais pendant qu’ils faisaient leurs courses moi j’étais au rayon livre et je m’asseyais. On était toute une fille de gamins et on piquait dans les rayons du supermarché pour bouquiner. J’ai découvert Jules Verne comme ça par exemple, truc un peu improbable mais voilà.
Si ce n’est pas de tes parents, alors d’où vient ta première bande dessinée ?
Ma nounou m’a offert mon premier Tintin, ça devait être pour mes 7 ans je pense et je l’ai dévoré, j’ai dû le lire des dizaines de fois. C’était l’affaire Tournesol, qui n’est pas le Tintin le plus abordable quand on est gamin mais c’est tellement bien foutu, et en grandissant on se rend compte que la narration d’Hergé et sa manière de mettre en scène sont incroyables. Tintin et Astérix ce sont vraiment les deux bouquins que tu peux relire à l’infini. Et ma deuxième BD c’était un Astérix justement Astérix et le chaudron.
Raconte-nous ton parcours avant la librairie.
Je suis originaire de Châteauroux, j’ai fait un an d’études à Poitiers sans succès. L’année d’après je me suis retrouvé engagé dans l’armée de l’air en me disant «je fais mon service militaire et si ça ne me plaît pas au bout d’un an je m’en vais». Il y avait toute une liste de métiers à disposition, mécano avion, infirmier, chauffeur, commando, et contrôleur aérien. Je me suis dit tiens ça ça peut être un métier sympa. il y avait vraiment tout un cursus supplémentaire que j’ai réussi, puis j’ai fait l’école et ensuite je suis devenu contrôleur aérien. L’école était à Mont de Marsant et après j’ai été affecté à Saint-Dizier où j’ai passé 10 ans sans librairies BD à moins d’une heure à la ronde, et puis je suis revenu dans la région suite à ma demande de mutation.
Comment le projet Librairix trouve sa place après cette carrière dans l’armée ?
En 2002 je suis arrivé à Bourges et en me promenant dans le centre ville, je tombe sur Librairix. Là je me dis « Ah formidable, il y a une librairie spécialisée, plus besoin de faire une heure de route, c’est à 10 minutes de la maison, génial ! ». Et puis je découvre qu’il y a aussi un festival de bande dessinée, mais vraiment par hasard, on est passé à la librairie au mois de septembre et on tombe sur l’affiche de BulleBerry. C’était le premier samedi d’octobre 2002, je me suis dit « quand même c’est génial je suis dans la bonne ville, je suis au bon endroit ».
Il se trouve que c’est cette année là que Philippe Caza avait fait l’affiche. Pour moi c’était un dessinateur qui faisait partie de mon petit Panthéon personnel, il y avait Moebius, Caza, Bilal et quelques autres que je n’ai pas rencontré mais lui était là ce jour-là. J’y suis allé tout fébrile avec le seul bouquin que je n’avais pas de lui qui était sur le stand de la librairie, c’était le début, le doigt dans l’engrenage. Parce que l’année d’après j’étais bénévole sur le festival et puis l’année suivante j’apprends qu’Evelyne qui avait la librairie depuis dix ans à l’époque voulait vendre.
J’en ai pas dormi de la nuit. La librairie à vendre, c’était mon rêve d’adolescent que je ne m’étais jamais permis, celui d’avoir la librairie Arcane à Châteauroux où j’allais tous les mercredis quand j’étais adolescent. Donc je suis retourné à la librairie et j’ai dit « je suis intéressé mais je sais pas comment on fait ». La mère de mes enfants était d’accord pour le projet, parce que quand même ça ne se monte pas tout seul, quand tu as une famille, des enfants… Sa grand-mère était libraire, de cheminement en cheminement on se dit «est-ce que c’est un hasard ou pas ce genre d’opportunité». On ne l’a pas laissée passer en tout cas. On a repris la librairie avec Evelyne qui est restée avec nous pendant 2 ans, et j’ai repris tout seul en 2007 avec Nathalie qui était déjà là depuis plusieurs années.

Comment se passent tes premières aventures en tant que Libraire ?
Au départ j’ai acheté la boutique pour pouvoir lire tout ce que j’avais envie, parce que c’était ça mon rêve, et rencontrer des auteurs et des illustrateurs qui font les livres que j’aimais lire. Il s’avère que ce n’est pas que ça la librairie, je lis beaucoup moins que quand je n’étais pas libraire !
J’ai découvert comment gérer un stock, comment faire des achats, comment conseiller les clients, le fait qu’Evelyne soit restée 2 ans et que Nathalie m’ait beaucoup épaulé, finalement la reprise de la librairie a été sereine et la passation s’est faite en toute tranquillité. Vis à vis des clients aussi, parce qu’ils ont découvert mon visage de jeune lecteur et pas encore de libraire, et petit à petit je me suis régalé en apprenant ce métier.
Et puis un jour, la libraire de Châteauroux qui avait repris la librairie Arcane où j’allais quand j’étais gosse vient me voir et me dit : « j’ai de la demande en BD mais je n’y connais rien, est ce que ça te dirait qu’on monte un projet de librairie spécialisée BD à Châteauroux ? ». J’ai réfléchi allez, 2min30. « Ok ! Voyons ce qu’on peut faire ». C’était encore une autre étape, créer une nouvelle entreprise, une seconde boutique, un autre challenge mais qui était vachement intéressant. Ça s’est créé en 2014 et au départ ça s’appelait Arcanix puisque c’était une association de Librairix et d’Arcane à Châteauroux.
C’était un petit local en face de la librairie Arcane, puis en 2020, j’ai repris ses parts dans la société ainsi que le local de sa librairie qui datait de 1828. On devait déménager sur un dimanche, j’avais convié les copains de Bourges et de Châteauroux, mais le deuxième confinement est tombé. Ce sont nos trois libraires qui ont fait le déménagement petit à petit, de 50 à 140 m2, plus le click and collect. Mine de rien, il y avait un soutien aux libraires qui était étonnant et agréablement surprenant, les gens sont vraiment revenus dans les petites librairies.
Ce déménagement là ne t’a pas suffi !
Non … On a ouvert une deuxième boutique à Bourges en décembre 2021, en face de la première. Ça tombait bien pour les fêtes de fin d’année où le magasin était plus que rempli. Ça nous a donné un peu de souffle et tout de suite le concept a fonctionné, on voyait bien les gamins qui venaient le mercredi après-midi dans le rayon manga, il y avait entre 700 et 800 références, mais ils se battaient pour les mêmes bouquins. C’était le bonheur d’avoir 40m2. On est passé à 4000 références et on a intégré les comics.
Ta réputation s’est aussi faite sur ton implication auprès des auteurs et dessinateurs qui viennent à la librairie.
C’est vrai que ça faisait partie du rêve de départ, pouvoir lire tout ce que je voulais, mais aussi rencontrer les auteurs et dessinateurs que j’aimais. Il y avait déjà des dédicaces auparavant, de temps en temps, mais je voulais faire connaître la librairie par et pour ça. Mon budget pub, c’est accueillir des auteurs et faire de la communication positive sur la librairie avec des auteurs qui venaient dédicacer. C’était les débuts, et c’est comme ça que j’ai rencontré Laurent Astier ! Au départ c’était en 2005 pour le lancement de la fête de la BD, je ne connaissais personne. Je venais tout juste de reprendre la librairie donc j’ai démarché des maisons d’édition.
À l’époque le seul qui m’avait répondu c’était Vents d’Ouest et Laurent Astier qui est originaire de Châteauroux. Il est venu à Bourges pour la première fois et après pour chacun de ses livres. Quand on a monté Arcanix, je lui ai demandé de devenir le parrain, ce qu’il a accepté lui et Aurélien Ducoudray en co-parrainage. Quand les choses se passent bien comme ça, quand on rencontre un auteur, puis deux, puis trois, on a envie que ça continue. Il y a eu une époque qui était très sympa, à force ils sont devenus copains, et quand il y a un nouveau livre je n’ai pas besoin de les inviter, ils m’appellent et disent « je viens dédicacer ! ».
Pour les 35 ans de la librairie j’ai voulu faire venir 35 auteurs en dédicaces sur l’année et on y est arrivé. Arriver dans l’association de BulleBerry a aussi joué un rôle, là j’ai rencontré plein d’auteurs, même si on arrive jamais à avoir tout le monde sur le week-end, il en reste toujours 4 ou 5 avec qui on reste en contact et qui reviennent dédicacer leurs nouveaux bouquins.
Justement, parle-nous de BulleBerry.
La marque de fabrique de Bulleberry, c’est l’affiche qui est dessinée par un auteur différent, choisi par les membres de l’association. Ce qui est intéressant quand on regarde en arrière, c’est que les anciennes affiches ont été faites par des dessinateurs qui ont eu une renommée après. Je pense à Emmanuel LePage qui a fait l’affiche en 2001, qui était à l’époque un tout jeune dessinateur qui a connu le succès après, et ça c’est vachement chouette parce que c’est l’idée du festival d’accueillir des pointures déjà en place mais aussi de faire découvrir des jeunes talents. Ça fait 25 ans que ça existe, il y a un relationnel qui s’est créé, les auteurs qui sont déjà venus disent aux copains « va à Bulleberry, tu verras l’accueil est super, l’ambiance est dingue tu passeras un bon moment ». Le bouche à oreille se fait quand le festival est bien en principe, et après on a pas trop de mal à recruter pour l’année suivante.
Tu as ensuite prolongé l’aventure avec un autre festival, les 40 ans de la librairie.
J’avais plein d’idées au départ, peut être même un peu trop, et puis finalement je les ai toutes menées au bout. Il y a eu des passages compliqués, pour la petite histoire, on a voulu faire un financement pour le livre racontant l’histoire de Librairix, notamment pour payer l’impression. On a eu le malheur de prendre les visuels d’Astérix et Obélix, tout se passait bien jusqu’au moment où une bonne âme a partagé le projet sur un groupe facebook de fans d’Astérix, et là c’est arrivé dans les bureaux des éditions Albert René … Donc j’ai reçu un courrier d’avocat avec une mise en demeure pour utilisation frauduleuse des droits à l’image des personnages. Là ça refroidit méchamment et il se trouve que par bonheur je connaissais un avocat spécialisé en droit à l’image, donc ils ont conversé entre avocats pour trouver un accord et ça c’est fait mais ça donne un bon coup de frein à tous les projets.
Si je fais le déroulé du week-end on avait monté une expo avec les dessins que j’avais fait faire aux auteurs sur la thématique des 40 ans de la librairie et sur leur vision d’Astérix et/ou Obélix. On les a exposés chez Praline et Panda, on a fait un vernissage avec tous les dessins, il y avait une quarantaine de planches. Étaient présent Evelyne et Patrick Dorie et aussi Chantal et Alain Philippe que j’avais invités pour fêter le début du week-end anniversaire. Le bouquin est arrivé dans la semaine précédente, les contributeurs ont reçu le livre avec plein de petits goodies, un badge, un tote-bag avec le projet de dessin de Steve Baker avec Astérix et Obélix. On a reçu 27 auteurs sur le week-end, j’ai réservé un hôtel entier pour les accueillir ainsi que les musiciens car il y avait une soirée concert à la Brasserie BOS. Ce soir là, il y avait Xavier Betaucourt et les Ramonix, ensuite un groupe qui s’appelait les Fuzzyvox que j’avais découvert au Printemps de Bourges, et pour finir deux DJ jusqu’à trois heures du matin. La Brasserie BOS était pleine à craquer. On a aussi organisé une séance cinéma après le vernissage où une sélection de courts métrages d’animation en lien avec la BD était diffusée. C’était un week-end d’enfer, fatiguant mais c’était fabuleux, c’est un chapitre à rajouter dans le bouquin.
Pour conclure cette interview, on va parler de tes nouveaux projets !
C’est vrai que de devenir éditeur faisait partie de mes rêves avec la librairie, alors quand Raynal Pellicer est venu me trouver avec l’idée de scénario et Fred Langout comme dessinateur, je n’ai pas hésité une fois de plus. Le pitch c’est Guillaume Ledoux ou Leroux vous verrez dans le bouquin qui, après un repas cheul’Zib un peu (beaucoup) arrosé, décide de déclarer l’indépendance du Berry.
Et puis, la troisième boutique Librairix dans la rue Coursarlon, cette fois-ci, spécialisée dans les livres jeunesse qui est l’essence d’origine de Librairix dès 1979.
La bande dessinée que nous devrions tous avoir dans notre bibliothèque ?
En américaine ce serait Watchmen (les gardiens en VF) d’Alan Moore, un génie encore inégalé dans son domaine, en japonaise et donc manga, ce sera sans aucun doute Akira de Katsuhiro Otomo et pour fi nir en Franco-Belge, L’incal de Jodorowsky et Moebius.
Si tu ne devais garder qu’un seul Tintin et Astérix ?
Sans hésiter, Astérix en Corse. Je peux le relire 20 fois, 30 fois, enfin il y en a beaucoup de géniaux mais pour moi c’est lui. Tintin ça a longtemps été vol 714 pour Sydney, mais avec le temps, je reviendrai à la source avec l’affaire Tournesol.
Quel est ton meilleur souvenir avec Librairix ?
Il y a eu beaucoup de belles choses, de rencontres, d’expositions, d’événements fabuleux, mais le meilleur reste la soirée des 40 ans de Librairix. C’est le résultat d’un an de travail et d’un concentré de tout ce que j’aime.
Raconte-nous l’histoire de Librairix avant toi.
Elle a été créée en avril 1979 par Chantal et Alain Philippe, elle était passionnée de livres jeunesse et Alain était plus BD, mais c’était une librairie jeunesse avec juste un petit rayon BD supplémentaire. ils avaient co-créé l’association des Librairies Sorcières à l’époque, elle existe toujours et réuni plus de 80 librairies jeunesses. Après eux il y a eu Evelyne et Patrick Dorie, puis moi.

T'as ti vu ce qu'en pense l'équipe ?
C’est peut-être dans les pages de ses bandes dessinées ou en s’inspirant de ses héros d’enfance que Denis est devenu un libraire curieux et ambitieux, ce qui lui vaut aujourd’hui mille mérites.
Il a su trouver sa place et tracer son chemin en alliant passion, rêves et vie professionnelle, mais il a également réussi à s’entourer de passionnés, d’amis et d’admirateurs, dans son équipe comme dans sa clientèle. De jeune Castelroussin à contrôleur aérien, puis de libraire débutant à entrepreneur confirmé,
Denis relève tous les défi s un par un, tant qu’ils lui permettent de s’épanouir, mais aussi de partager son amour pour la bande- dessinée.
Interview réalisée dans la boutique Librairix le 17/08/2023
avec la participation de Denis Moreau.
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